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Causerie

C'est toujours de l'étranger que nous vient la lumière : la direction de l'Opéra Impérial de Vienne vient de supprimer la claque et tous les artistes se sont engagés solennellement à ne plus rechercher à l'avenir les succès stipendiés ni les applaudissements tarifés. Est-ce la fin des vieux Romains, des antiques chevaliers du Lustre? En Autriche peut-être, mais malheureusement pas en France...

Maintes tentatives ont été faites pour les supprimer chez nous. Lorsque M. Ginisty prit l'Odéon, l'an passé, il essaya de se priver de leur concours. Bon gré mal gré il dut capituler, et les artistes eux-mêmes avaient fait cause commune avec la claque.

Et, à ce propos, on a rappelé des souvenirs historiques, comme celui du père David, chef de claque de l'Opéra sous le second Empire, qui, menacé de se voir mis à pied pour cause de suppression, répondit avec une feinte candeur : Mais qui donc applaudira l'Empereur?

Ce mot sauva le père David et son industrie. Nous n'avons plus d'empereur aujourd'hui, mais la claque est restée.

Tant pis pour le public, sinon pour les acteurs. Ces derniers, tous un peu Délobelle, ont besoin de se donner à eux-mêmes l'illusion du succès. Mais rien n'est désagréable pour les spectateurs comme ces salves intempestives qui viennent saluer bêtement des tirades ratées, ou qui rappellent à la fin des actes de mauvais comédiens, comme il s'en rencontre parfois — notamment à nos Célestins, aujourd'hui si déchus.

Seule Mme Cosima Wagner, chez elle, à Bayreuth, a eu le rare courage de supprimer les claqueurs. C'est que Bayreuth est un temple plutôt qu'un théâtre. Et le rayonnement d'art qui se dégage des oeuvres, le recueillement du public attentif suppléent, heureusement et dignement, aux coups de battoir des chevaliers du Lustre.

Nous ne sommes pas à la veille de voir réaliser chez nous cette réforme heureuse ! Un incident local m'en fournit la preuve. On m'apportait dernièrement une carte de visite assez pittoresque, trouvée dans l'escalier des Célestins. Elle était ainsi rédigée :

X... ENTREPRENEUR DE SUCCES DU THEÂTRE.
L'euphémisme est délicieux. Cet émule du père David et de Porcher aurait-il de la littérature ?

Mais reconnaissons qu'au point de vue des ovations théâtrales, sincères ou payées, nous n'en sommes pas heureusement, en France, au degré de cabotinage de certains pays voisins. Notre public fait des succès distingués et sans fracas. On ne déchire plus ses gants pour mieux applaudir ; on ne rugit plus les bravos ; on ne trépigne plus par enthousiasme.

En Espagne et en Italie on voit de ces débordements fous. Eventails, mouchoirs, gants, bijoux mêmes, voltigent sur la scène, aux grands jours, comme autant de témoignages d'admiration qui viennent tomber aux pieds des triomphateurs.

En Angleterre, on ne se contente pas non plus d'applaudir. On offre aux artistes non seulement des fleurs, mais des fruits, — parfaitement ! — tout un surtout de table... N'est-ce pas Adrien Marx qui a raconté que la Patti reçut à Londres, le jour de son dernier bénéfice, une corbeille énorme, vaste comme un malle d'osier, remplie d'un côté de roses, de camélias, d'orchidées, et de l'autre de raisins, de pêches et même de melons. On était en janvier : le cadeau était donc princier, sinon du meilleur goût...

Cet amas de primeurs était accompagné d'un mot : Je mets à vos pieds la récolte de mon verger et de mes serres, avec le regret de n'y pas mettre les serres, le verger et... le propriétaire avec.

Avec les melons sans doute !

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